Comment adapter son business model face aux enjeux technologiques ?

Rédaction Analyses Experts : Quel doit être le point d’attention majeur des directions financières et des dirigeants d’entreprises dans le contexte économique actuel, si l’on ne devait en citer qu’un seul ?

Philippe Giraudon : Un des points d’attention centraux en particulier pour les directions financières et les dirigeants d’entreprises, crucial dans l’environnement économique actuel (qui évolue rapidement), est en principe d’être capable, à chaque instant, de protéger, adapter et reconfigurer son business model (modèle économique), face à des nouvelles technologies, pratiques, et modes, et à des nouveaux acteurs.

L’analyse et la définition d’un business model en tant que tel sont souvent délicates à réaliser, à tester et à mettre en œuvre de façon réactive, efficace et génératrice de Cash Flow. Une entreprise, ou un groupe, peuvent de surcroît avoir plusieurs business models au sein de leurs activités. En particulier, les dirigeants doit en principe s’interroger à chaque instant sur « ce qui fait la réelle valeur » des activités qu’ils développent, valeur qui est une source clef du Retour sur Investissement (ROI) [et inversement] ; à titre d’illustration, dans le secteur de la santé, la gestion et l’organisation effective de la prise de médicaments, contrainte significative pour les patients et consommatrice de temps pour les pharmaciens, est-elle une source de valeur essentielle aujourd’hui ? Un ancrage solide dans le milieu de la santé l’est-il également (par exemple par la possession de licences en pharmacie, et la conclusion de partenariats avec les principaux régimes d’assurance-maladie) ? La start-up américaine PillPack (qui a pour objectif de simplifier la pharmacie en triant notamment les médicaments sous forme de doses pratiques livrées à domicile) semble l’avoir identifié ; Amazon également, en rachetant celle-ci pour un montant estimé à 1 milliard de dollars, et en provoquant une chute de la valeur en bourse des grandes chaînes de pharmacie plus « traditionnelles » du pays (CVS, Rite Aid et Walgreens) de l’ordre de 11 milliards le même jour.

Rédaction Analyses Experts : À quelles nouvelles dimensions les entreprises doivent-elles adapter leur business model ?

Philippe Giraudon : Les entreprises doivent analyser dans quelle mesure les nouvelles technologies et façons d’opérer des activités modifient déjà, ou vont modifier, effectivement et durablement, leur business model, et leur rentabilité économique ; parmi celles-ci, on peut par exemple citer :

– la blockchain (technologie de stockage et de transmission d’informations, en principe et en théorie transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle, qui constitue notamment l’architecture du Bitcoin) ;

– le web 3.0 (qui cherche notamment à « décentraliser » un espace en ligne dans lequel les individus pourraient développer leurs activités de façon libre, sans dépendre de plateformes partagées de type Facebook ou LinkedIn) ;

– les decentralised applications (dapps – applications décentralisées) ;

– et les smart contracts (contrats, notamment financiers, exécutés automatiquement en fonction de critères préétablis).

Autres illustrations : elles doivent nécessairement s’interroger sur la nécessité, dans leur secteur et pour leur business model le cas échéant, de développer davantage l’analyse de données (data science/analytics), notamment financières (Financial Data Science), des formes d’intelligence artificielle (Artificial Intelligence) et de Machine Learning (apprentissage automatique).

Rédaction Analyses Experts : Quels risques clefs peuvent perturber les business models des entreprises ?

Philippe Giraudon : Parmi les risques majeurs pouvant perturber leurs business models (et leur capacité à effectivement générer un résultat économique [EBITDA ou EBIT] et un Free Cash Flow durables), notamment identifiés par des enquêtes parmi les Directeurs Financiers de la plus grande partie des pays européens, peuvent être cités, à titre d’illustration :

– le manque de ressources humaines qualifiées par rapport à leurs besoins, risque considéré comme croissant, et pouvant apparemment se matérialiser à la fois à court, à moyen et à long-terme (ce manque de compétences peut à minima empêcher d’assurer le renouvellement des équipes, mais également de mettre en œuvre leurs plans de développement, et de faire face aux menaces de concurrents existants, de nouveaux acteurs et/ou de nouvelles technologies, avec la nécessité de prendre des mesures convaincantes pour attirer les talents) ;

– les risques liés aux cyberattaques (la plupart des Directeurs Financiers semblent considérer que leur impact ne devrait pas être très grand, mais sous-estiment potentiellement leurs conséquences réelles, notamment financières) ;

– le retour à des politiques protectionnistes entre les Etats-Unis, l’Europe et l’Asie (avec un impact évidemment variable selon les secteurs, certaines activités de fabrication se révélant par exemple plus concernées et plus exposées).

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Philippe Giraudon, CIIA
Associé-Gérant PHG FINANCE
Professeur à Sciences Po Paris
Diplômé de la SFAF / CEFA